10 récits de SF pour rendre palpables les enjeux du 21è siècle

Comment imaginer concrètement notre avenir personnel au 21è siècle ? Un livre publié en juillet 2020, sous le titre humoristique Nos futurs, s’est donné pour mission de « sensibiliser, informer et produire des récits autours des enjeux du changement climatique ». Ce recueil de 10 textes de sciences et 10 textes de fiction combat l’idée d’un no future alimentée par la peur de l’effondrement, explorant leS futurS possibleS pour nous aider à entrevoir une place et une voie d’action.

Lecture 10 minutes

En 1945, la direction des pays industrialisés était claire : reconstruire des sociétés meurtries par la guerre et répandre un progrès matériel et humain dans la population. Ce rêve collectif fut celui des Trente Glorieuses, mais il est caduc depuis 50 ans et nous savons aujourd’hui que poursuivre des chimères de croissance et de bonheur matériel déstabilise le climat et menace des espèces dont la nôtre ! Grande Démission, bullshit jobs, Gilets Jaunes… nos sociétés sont malades de ce décalage entre un rêve vétuste que la politique et les entreprises perpétuent, et l’état d’une terre nourricière qu’on continue à mutiler aveuglément.

Oui, nous émettons trop de CO2 et la planète se réchauffe (été 2022). Oui, la biodiversité s’érode et les sols s’appauvrissent (Bretagne, Beauce). Oui, pétrole et gaz vont se raréfier (la guerre en Ukraine n’en est qu’un aperçu). On sait tout cela, cette crainte est ancrée en nous. Mais on se sent démuni, faute de savoir quoi faire, comment réagir, s’adapter, anticiper. Les rapports des scientifiques, comme ceux du GIEC, légitiment la crainte mais échouent à donner espoir. En effet nous manquons souvent d’espérer. Car si la crainte donne une impulsion à l’action, l’espoir lui donne une direction. Et pour espérer, il faut imaginer une issue, une vie meilleure, ou du moins, une vie possible.

L’ouvrage que je vous recommande, Nos futurs, propose des textes de Science, pour asseoir les problématiques du début du 21è siècle, mais chacun accompagné d’un texte de Fiction, pour personnifier et incarner nos histoires potentielles dans ce cadre objectivé par la Science. Selon vos affinités, vous verrez peut-être la Science comme éclairant ou ancrant la Fiction, la Fiction comme illustrant ou dépassant la Science. À vous de voir ! La préface du recueil rappelle qu’il ne cherche ni confusion des perspectives, ni hiérarchie des approches : Fiction et Science sont ici complémentaires, entremêlées.

Vous trouverez un grand nombre de critiques du livre sur cette page.

La genèse de l’ouvrage

Daniel Suchet, que j’ai contacté pour vous, m’a expliqué les motivations derrière l’ouvrage. Il est une des quatre personnes ayant initié puis dirigé ce recueil, le tout à titre bénévole. Daniel est spécialiste du photovoltaïque et Maître de Conférences en physique à l’Ecole Polytechnique. « Se projeter très concrètement dans un futur pas si proche, horizon 2050 ou 2100, nous a semblé nécessaire car même en réglant les problèmes de 2020, on n’a pas réglé tous ceux qui surviendront fatalement ensuite. Imaginons par exemple un monde où le système de points carbone, tant décrié aujourd’hui par les libertaires, aurait été mis en place. Quels seraient alors les nouveaux rapports de force au sein de la société ? Voilà ce qu’explore la nouvelle Home dans le recueil », argumente Daniel.

Selon lui, « Science et Fiction sont deux approches non substituables pour qui s’intéresse au devenir de l’humanité et de la planète. Nous avons besoin de l’objectivité des faits et des techniques, mais aussi de l’authenticité d’histoires imaginées par des humains pour des humains, dans lesquels nos futurs possibles peuvent s’incarner. » Or, un livre est généralement rangé soit dans la case Science, soit dans celle Fiction.

Un des buts du recueil a ainsi été « d’amener des lecteurs de Fiction à lire de la Science, et des lecteurs de Science à lire de la Fiction. Ce croisement des lectorats nous a paru crucial : la Science seule ne peut explorer en profondeur les conséquences politiques, humaines et sociales d’un enjeu, et en retour la Fiction seule ne peut explorer rigoureusement les aspects techniques et scientifiques du même enjeu », nous explique Daniel.  

« Nous avons besoin de l’objectivité des faits, mais aussi d’histoires authentiques incarnant nos futurs possibles »

Croisement des lectorats, mais aussi des auteurs, puisqu’un binôme scientifique-littéraire a été chargé d’explorer chacun des 10 thèmes votés par un public initial de 800 lecteurs : Lutte contre la faim, Stockage du carbone, Villes durables, Santé/bien-être, etc. Le tout en s’appuyant sur la grille d’analyse du GIEC. « Jérôme Vincent, directeur des éditions ActuSF qui publient le livre, et Roland Lehoucq, astrophysicien au CEA et vulgarisateur de talent, avaient le bon réseau pour attirer des auteurs de Fiction. Ensuite, nous avons contacté des auteurs de Science qui ont rapidement montré de l’intérêt pour l’ouvrage – ils ont même travaillé bénévolement. » Parmi ces auteurs, on compte des « pointures », comme Isabelle Czernichowski-Lauriol sur le thème du stockage de carbone, ou Matthieu Auzaneau sur le thème des énergies fossiles.

C’est notamment Aline Aurias, journaliste scientifique, qui a accompagné les binômes, dont le travail a été parfois convivial – chaque auteur devenant capable de présenter le travail de l’autre, ou parfois tendu – « deux auteurs d’un binôme ont fini par se fâcher ! » confie Daniel, mais toujours enrichissant, et résulte en un recueil varié, fourni, détaillé, concret. Ayant fait parler de lui sur France Culture ou encore en double page dans Libération, l’ouvrage est déjà une belle petite réussite, puisqu’à ce jour 3 500 exemplaires ont été vendus, et 2 textes de fiction ont reçu un Prix de l’Imaginaire… à vous de deviner lesquels !

Voici maintenant quelques réflexions personnelles sur ce livre.

Des fictions proches de notre quotidien

Alors que la Science-Fiction, la fameuse « SF » telle qu’on la connaît, a souvent recours au fantastique ou à des rêves dépassant la science, les histoires de ce recueil s’en tiennent à notre réel et ses lois physiques. Se sentant concerné par ces récits terre-à-terre, le lecteur trouvera naturel de se positionner vis-à-vis des enjeux abordés.

Dans NoS FuturS, l’accent est mis sur des projections concrètes, parlant de votre quotidien de demain. Pas de galaxie lointaine, d’âges reculés, de magie, de trolls ni de failles spatio-temporelles, pas du tout ! Les fictions vous décrivent la Drôme en 2040 et 2300, l’île de Bordeaux et les restes des fermes du Lot et de l’Aveyron, un voyage entre la Suède et Grenoble, la restauration d’une forêt au Congo, ou encore l’assaut du quartier climatisé de la Défense en 2100.

De tels cadres plausibles nous aident à nous plonger dans ce futur, ou plutôt, ceS futurS possibles, pour imaginer quels y seraient nos ressentis, nos attitudes, nos actions, nos objectifs. Ils montrent des illustrations réalistes de ce que changement climatique signifie. Conséquences pas toujours roses, mais encore influençables par nos choix du présent.

Des idées concrètes et positives

La Fiction permet d’exploser les cadres, de s’extraire des entraves, de dépasser les limites actuelles – qui sont parfois plus psychologiques que matérielles. Depuis Thomas More et même avant, les utopies esquissent des mondes possibles, ouvrant ainsi la voie à des actions que l’étroitesse du présent réprime.

Une des nouvelles en imagine un bel exemple : les citoyens ont réussi à créer d’immenses sanctuaires naturels, où plantes et animaux sont laissés en paix pour que la biodiversité se conserve. Comment y sont-ils parvenus ? Des militants devenus experts en spéculation sur les cryptomonnaies ont progressivement acheté des terres agricoles, parcelle par parcelle, au fil des décennies. Ces Robins des Bois écologistes volent à la Finance pour donner à la Nature. Comme l’indique le récit, « l’action était à la fois simple et concrète. On ne s’épuisait plus en protestations ou en discussions. […] Un projet inattaquable sur le plan judiciaire, puisqu’on était dans le cadre légal de la propriété privée. » Voilà une idée positive, sensée, respectueuse, que l’on peut rattacher à la notion d’Action Directe.

Certain(e)s d’entre vous, ou vos connaissances, spéculent peut-être déjà sur les cryptomonnaies, mais pour en faire quoi ? Voyager à grand renfort de CO2 ? Éviter de devoir contribuer à la société ? Acheter des maisons secondaires pour y passer 3 jours par an ? La seule utilité sociale qu’on pourrait imaginer à cette spéculation, en taisant le gouffre énergétique qu’elle entretient, serait que l’argent « gagné » soit réinjecté dans des œuvres bénéficiant au public. Autrement, il n’y a pas création de valeur, seulement appauvrissement de certains détenteurs au profit d’autres. Bitcoiners et Ethériens, à vos idées !

Or, savez-vous que de tels achats de terres ont déjà lieu depuis 30 ans en France ? Dans le Morvan en Bourgogne, des habitants insurgés contre l’artificialisation des forêts ont uni leurs forces. Combattant l’appétit sans fond de l’industrie du bois, ils achètent des parcelles qu’ils gèrent de manière durable et respectueuse. Cette action citoyenne, portée notamment de longue date par Lucienne Haese, vaillante dame de 81 ans, est un franc succès et a déjà permis de sauver 350 hectares de la monoculture et ses coupes franches.

[ajout du 1er janvier 2023 : Lucienne Haese a fait un passage remarqué à la télévision, dans l’émission Aux arbres citoyens, le 9 novembre dernier]

Panneau présentant la première parcelle rachetée par les citoyens défendant les forêts du Morvan

Les bons et les méchants

Le chapitre du piégeage et stockage de carbone m’a fait beaucoup réfléchir. Si je parle des bons et des méchants, c’est pour ne pas les nommer trop tôt.

Les enjeux climatiques sont éminemment complexes. Difficile de connaître à l’avance la bonne solution, qui n’est sans doute pas unique. Cette technologie de stockage du carbone est maîtrisée par « les méchants » : les entreprises qui extraient le pétrole et le gaz et permettent au CO2 d’aller s’accumuler dans l’atmosphère (ces mêmes hydrocarbures qui soutiennent notre niveau de vie, et que vous et moi consommons très volontiers, entretenant la demande qui enrichit ces entreprises…). Or, ces mêmes compétences hier source du problème, demain peut-être feront partie de sa solution.

L’idée : capter le CO2 là où ses émissions sont les plus concentrées (en sortie d’usines) puis le stocker dans des puits souterrains, pour éviter qu’il parte dans l’atmosphère et contribue à l’effet de serre.

Bien sûr, si on se contente d’agir ainsi à la source, le risque est d’inciter à consommer des énergies fossiles de plus belle. Mais cette solution technique peut représenter autre chose qu’un moyen de déculpabilisation : elle pourrait nous accorder un répit décisif. Atténuer provisoirement nos émissions de CO2 dans notre course contre-la-montre du réchauffement climatique, en retardant le problème le temps que nos sociétés s’organisent pour fonctionner avec moins voire sans hydrocarbures.

D’une part, j’ignorais que le CO2 n’est pas stocké en « faisant des trous dans le sol » n’importe où. En réalité, on utilise des réservoirs naturels existants, qui sont de deux sortes :

– soit des nappes d’eau trop profondes pour être potables, appelées « aquifères salins profonds »,
– soit des anciens puits d’hydrocarbures, dont l’étanchéité et la capacité sont déjà prouvées.

En soi, il suffit de creuser des puits profonds jusqu’aux réservoirs, les équiper de pompes puissantes, ce qu’on sait faire, et de bien reboucher le trou quand le réservoir est plein, ce qui reste à perfectionner.

D’autre part, les ambitions semblent plutôt réalistes, car un rapport spécial du GIEC en 2005 a estimé que les réservoirs naturels mondiaux pourraient recueillir 2 000 Gt (milliards de tonnes) de CO2 – à comparer aux 2 200 Gt déjà émis par l’humanité depuis la Révolution Industrielle, et aux 580 Gt à ne pas dépasser à partir de 2017 pour espérer rester sous les 1,5°C de réchauffement planétaire. Les ordres de grandeur rendent donc l’idée crédible.

Par ailleurs, j’ignorais que 19 tels sites sont déjà actifs dans le monde, pour la plupart aux États-Unis, mais pas que : 2 sont en Norvège dont l’un fonctionne depuis 25 ans. Le recueil nous apprend qu’aujourd’hui, seules 0,1% des émissions mondiales annuelles (qui sont de 42 Gt de CO2) évitent ainsi de rejoindre l’atmosphère. C’est actuellement infime, mais le passage à l’échelle ne demande qu’une volonté économique et politique. La technique est là.

Quelles solutions propose le livre ?

Sans tout dévoiler, voici quelques éléments.

Parmi les adaptations et innovations explorées par les articles et nouvelles, la plus emblématique est la carte carbone, notion étudiée par le gouvernement britannique dès les années 2000. Il s’agit d’un nombre de points attribués à chaque citoyen(ne) pour une période donnée, l’autorisant à consommer une quantité fixe de carbone pour sa vie personnelle. Le principe se veut plus direct, plus concret, et plus égalitaire que la taxe carbone, notamment car l’autorisation de consommer peut être découplée de la richesse – comme le permis de conduire à points par rapport aux amendes. À quoi ressemblent les voyages, les liens sociaux, la consommation dans une Europe de la carte carbone ? À vous de le découvrir !

Un autre article discute de l’adaptation des villes au changement climatique. Par exemple, comment Paris, avec ses larges avenues et ses grandes baies vitrées, pourra-t-elle encaisser en 2100 le climat qui règne actuellement en Andalousie au Sud de l’Espagne ? Il a fallu des siècles voire millénaires pour qu’une ville comme Séville adapte son plan de ville et son architecture à ces étés particulièrement longs et torrides. À cause des échelles de temps en jeu, changer les infrastructures constitue un défi encore plus colossal que changer les comportements humains.

Une nouvelle s’attaque à la question des variétés cultivables, de leur sélection, esquisse de nouvelles pratiques agricoles dans un contexte de sols appauvris ou pollués, le bénéfice des associations de plantes par rapport à la monoculture.

Au passage, rappelons que bien des changements vertueux consisteront à réadopter des pratiques anciennes. Le covoiturage, la récupération d’eau de pluie, l’utilisation de matériaux durables, étaient évidents tant que nous avions des charrettes à bœufs, pas d’eau courante et pas de pétrochimie. Avant de parler d’innovation, être plus en phase avec la nature consistera souvent à revenir de nos excès, à retrouver du bon sens des décennies ou siècles précédents.

Quel que soit le thème abordé, les nouvelles regorgent d’adolescents et jeunes adultes enthousiastes, persévérants, créatifs, débrouillards. Leur monde peut nous paraître angoissant, mais eux ne sont pas angoissés. Ils acceptent leur époque, en tirent ce qu’ils peuvent, continuent à vivre, forment des projets. On y trouve quelques sages aussi, garants des enseignements d’un passé pas si lointain, tâchant de guider les jeunes.

Au fond, voilà peut-être l’optimisme tel que nous devons le conserver : jeunesse et adaptabilité.


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