Les 3 dangers de nos comptes bancaires

Les paiements sans contact, les Paylib, les Lydia, nous entraînent dans une spirale de facilité technique qui nous éloigne du contrôle de notre argent, tout en produisant une foule de données sur notre vie privée. Aussi, nous oublions que l’argent ne dort jamais en banque, et que notre épargne finance des projets – mais lesquels ? En rappelant l’intérêt de l’argent physique, j’encourage à reprendre le contrôle.

Lecture 28 minutes

Un paiement aujourd’hui, c’est facile, instantané. « En un clic, sans contact, en PayPal ou ApplePay, un Tricount puis un Lydia, bien remboursé tu seras ». Ça, de près ou de loin, vous connaissez. Ce vernis fun ou pratique, mis en avant par les banques, néobanques, métabanques, est la modernité de nos années 2020. Mais ce qui se passe derrière est trop vite oublié. L’argent dématérialisé traîne son lot de dangers.

Depuis longtemps les banques commerciales ne sont plus de simples gardiens de nos économies – l’ont-elles jamais été ? Notre argent déposé au CIC, au Crédit Agricole, à la Banque Populaire, loin de dormir sagement au coffre, est aussitôt mobilisé par la banque, ou l’État, pour ses propres projets. C’était vrai au temps des louis d’or ou des ducats, ça l’est encore plus maintenant que 90% de notre monnaie est scripturale (= dématérialisée : les montants des comptes bancaires) et 10% seulement fiduciaire (= physique : les pièces et billets).

De là découle un premier danger : en laissant notre argent en banque, nous finançons, nous votons pour, nous soutenons des projets que nous ne maîtrisons pas, dont certains sont néfastes, typiquement dans l’extraction d’énergies fossiles comme charbon ou gaz de schiste.

Mais cette monnaie dématérialisée fait bien plus : elle nous asservit. Relevez donc le défi suivant : vivre plusieurs jours sans qu’aucune transaction numérique ne passe par votre banque. Combien tiendrez-vous, 4 jours ? 3 jours ? 1 jour ? Mince, perdu : j’ai payé un café en sans contact. Les banques commerciales sont devenues quasi-incontournables pour nous déplacer, nous loger, manger, communiquer, travailler, sortir… Vous passerez difficilement un week-end sans qu’elles sachent où vous allez.

Cette présence tentaculaire dans notre vie a au moins deux conséquences dangereuses.

D’une part, nous n’avons pas la certitude de disposer de notre argent quand nous le voulons. Déjà, l’État ou l’UE peuvent ordonner d’en confisquer une partie, comme à Chypre en 2013 – j’en parle plus bas. Mais outre cet extrême, la banque peut déjà bloquer notre carte, notre virement, notre retrait, rendre le montant de notre assurance-vie indisponible. Et pourquoi pas, bientôt, taxer chacune de nos transactions, si l’argent matériel finit par disparaître comme le planifient activement des gens haut placés – j’en parle aussi.

Tout cela illustre ce que j’appelle notre perte de souveraineté de paiement.

D’autre part, cette dépendance aux banques fournit un fabuleux outil d’espionnage de notre vie privée, puisqu’elles savent où et à quelle fréquence nous achetons notre pain, qui nous emploie ou nous paie, à qui nous versons un loyer ou remboursons un crédit, à quel péage d’autoroute nous passons et quand, qui entretient notre voiture ou notre vélo, quel médecin nous consultons, où et quand nous passons nos vacances, ou encore sur quel site Internet ou dans quel magasin nous faisons ces achats… heum… discrets !

Nos transactions bancaires exposent et trahissent notre intimité. Pour mieux vous en convaincre, j’épluche dans cet article 3 mois de compte courant d’un cobaye consentant, avec qui je vérifie si j’ai vu juste. Vous verrez qu’on lit votre vie privée dans vos dépenses. Et vous me direz si vous n’avez toujours rien à cacher.

J’interroge donc ici notre rapport aux banques, en pointant des aspects trop négligés. En fin d’article, vous trouverez quelques suggestions pour un rapport plus sain à l’argent. Et quid des fameuses cryptomonnaies ?

Quand notre épargne dégrade le climat

Nous aimons qu’une banque nous prête, car avec son argent nous réalisons nos projets, achat de voiture ou résidence principale, création d’entreprise, etc. Pour la remercier, nous lui donnons un supplément annuel : les intérêts. Les particuliers qui ont emprunté à 1% pendant la Covid pour leur résidence principale ont d’ailleurs tiré un gros lot, puisque leur banque leur réclame moins d’intérêts que la valeur que perd en un an cet argent avec une inflation à 5%.

Épargner à la banque, c’est l’opération miroir, c’est lui prêter de l’argent. Une banque aime qu’on lui prête, car avec notre argent elle réalise ses projets. Pour nous remercier, elle nous donne un supplément annuel : les intérêts. À l’heure où j’écris, la seule épargne classique vous faisant gagner en valeur est le Livret d’Épargne Populaire à 6,1%. Les autres livrets, CEL, PEL, Livret A, LDDS, Compte sur livret, Compte à terme, ont des taux de 3% ou moins, alors que l’argent perd annuellement environ 5% de sa valeur via l’inflation. Hors LEP, vous prêtez donc à perte à votre banque.

Avec l’argent que nous lui prêtons, la banque fait plus ou moins ce qu’elle veut. Plutôt moins, pour un livret réglementé type Livret A ou LDDS dont l’argent est fléché vers l’État et que la banque ne fait que collecter (encaissant une commission de 1% environ). Plutôt plus, pour des comptes sur livret, comptes à terme, assurances-vie, dont les fonds lui reviennent réellement et peuvent ensuite remonter, via le jeu des filiales, à ses activités de banque d’affaire et banque d’investissement. C’est le cas des banques dites « universelles » qui regroupent toutes ces activités (en France : BNP, SoGé, Crédit agricole, Banque Populaire – Caisse d’Epargne, Crédit Mutuel), mais aussi de celles qui en dépendent… c’est-à-dire quasiment toutes ! Par exemple, Crédit du Nord, c’est Société Générale depuis 2023. En clair, votre humble épargne peut aller sur les marchés financiers ou servir aux fusions-acquisitions.

Votre humble épargne peut aller sur les marchés financiers ou servir aux fusions-acquisitions

Rien que les fonds du brave livret A, destinés en majorité à financer le logement social, sont placés en partie dans des actions, obligations et devises sur les marchés financiers. Lors de la crise des subprimes de 2008, on a vu que de simples crédits immobiliers américains pouvaient être morcelés, transformés, redistribués à travers le monde entier. Alors, avec des placements plus complexes comme des assurances-vie, des parts de SICAV, de FCP, savons-nous où est notre argent à un instant t ? Même placer dans un « fond vert » ne garantit pas l’utilisation souhaitée.

Personnellement, quelque chose s’est brisé en moi le jour où je me suis trouvé, à New York, au pied des 45 étages du gratte-ciel du Crédit Agricole, au 1301 Sixth Avenue. Contraste total avec la petite agence Crédit Agricole de mon village…

Bref, une fois notre argent en banque, on ne maîtrise pas ce qu’il devient.

Quand la BNP affiche avoir consacré 6 milliards d’euros aux énergies renouvelables entre 2004 et 2014, c’est vrai et c’est bien. Ce qu’elle n’affiche pas, c’est que sur cette période elle en a consacré 52 milliards, presque 9 fois plus, aux énergies fossiles. Prenons par exemple la gigantesque mine de charbon à ciel ouvert de Garzweiler en Allemagne, près de la Belgique. Ce sont les milliards d’euros reçus de grandes banques comme BNP, Société Générale, ou Crédit Agricole, pour ne citer qu’elles, qui permettent à l’entreprise allemande RWE d’exploiter la mine, et de continuer à l’étendre en rasant plusieurs villages et leurs églises. Cette seule entreprise a une empreinte carbone équivalente à 1 700 000 Français. Voulons-nous continuer à la soutenir en déposant notre argent dans ces banques ?

Destruction de villages et d’une église pour étendre la mine à charbon de Garzweiler, en Allemagne. © Arne Müseler.

Chacune de ces trois mêmes banques françaises, contribue tant au secteur des énergies fossiles (via des actions, obligations, ou prêts bancaires) que les émissions équivalentes de CO2 de ses activités dépassent celles du territoire français tout entier !

Ces révélations de rapports récents, comme ceux de l’association Oxfam France et l’ONG Les Amis de la Terre, illustrent le potentiel néfaste de notre argent qui dort en banque. L’ONG Reclaim Finance va depuis 2013 à la rencontre des banques et assurances, pour les inciter à réduire ou arrêter leurs financements dans les énergies fossiles. L’objectif réaliste de sa directrice Lucie Pinson, interrogée par Reporterre, n’est pas de faire de ces banques des acteurs éthiques, mais de limiter leurs effets négatifs sur le climat. Avec déjà quelques réussites notamment auprès d’AXA.

Alors, oui, choisir notre banque a des conséquences concrètes, non limitées à l’exemple du climat et de l’environnement. Vous ferez bien plus en plaçant vos 20 000€ dans la bonne banque, qu’en donnant 200€ à une association caritative.

Et méfiez-vous des filiales ou adossements : Hello Bank et Lydia dépendent de BNP Paribas, Boursorama de Société Générale, LCL et B for Bank du Crédit Agricole, CIC de Crédit Mutuel, etc. Le site change-de-banque.org vous aidera à y voir clair et à savoir comment procéder, y compris si vous êtes chef d’entreprise ou une collectivité. Pour un particulier, Arkea et La Banque Postale, correctement placés niveau empreinte carbone, sont peut-être les choix les plus simples. Osez aussi Crédit Coopératif, Hélios ou Green Got. Sachez que transférer toute votre épargne est facile, un crédit immobilier un peu moins, mais faisable. Personnellement j’ai quitté la BNP en 2021, pour le Crédit Coopératif dont je suis très satisfait.

Ne culpabilisez pas trop, rien ne sera parfait, et vous ne voulez pas d’un coffre à billets chez vous. Mais pour limiter l’impact de votre argent qui dort, vous pouvez :

  1. changer votre banque
  2. réduire les montants que vous lui confiez, si elle n’est pas vertueuse
  3. placer votre argent dans des choses sensées comme un logement

Plus on est riche, plus on a d’impact… négatif ou positif !

Perte de souveraineté de paiement

Imaginez des vacances entre amis où votre copain Axel gère le pot commun, chacun lui a confié 500€. Il paie les restos, les hébergements, les bus, les visites, sait qui doit combien à qui, et vous rendra à la fin ce qu’il vous reste. C’est bien pratique ! Ce que vous avez fait, c’est troquer votre souveraineté de paiement contre de la facilité : vous avez renoncé à payer vous-mêmes. Tant qu’Axel écoute vos ordres de paiement, ne manipule pas les comptes à son profit, et vous rembourse votre solde, la confiance est maintenue. Mais c’est lui qui détient le pouvoir sur votre argent, plus vous.

Eh bien, les banques commerciales, c’est Axel à l’échelle de toute la société et sans limite de temps. Nous leur confions notre argent (comptes bancaires) et nous déléguons nos paiements (loyer, électricité, téléphone). Parfois, un sursaut de réappropriation de nos économies nous fait retirer des billets pour payer, mais en général nous nous contentons de donner des ordres de paiements (carte bancaire, virement, chèque, Paypal), laissant la banque tout contrôler.

Alors qu’Axel nous rendait service gratuitement, les banques nous font payer pour cela (frais bancaires). Si par mégarde nous allons dépenser trop (compte en négatif), au lieu de refuser le paiement la banque paie et nous pénalise d’une somme (commission d’intervention, -8€ à chaque opération). Voyez à quel point nous maîtrisons notre argent ! Et je ne m’étends pas sur le score de crédit, système anglo-saxon qui risque d’arriver en France, avec lequel la banque vous punit en refusant de vous prêter si vous n’êtes pas couramment endetté avec votre carte de crédit. Ainsi, les plus démunis ont raison de tout retirer en espèces dès que leur revenu tombe, comme l’explique le sociologue Denis Colombi dans cet épisode de l’excellent podcast Thune.

Bref, nous ne sommes plus maîtres de notre argent, tout ou presque a été accaparé par les banques.

Une vieille paysanne me racontait récemment comment, dans les années 1950, ses parents « ont compris qu’on les dépossédait de quelque chose » lorsque la laiterie du village n’a plus acheté leur lait avec des billets, mais avec un chèque. Jusqu’alors, ils vivaient sans banque, ne gardant que quelques liasses sous le matelas ; du reste ils produisaient l’essentiel de leur nourriture. Or, ce nouveau morceau de papier n’avait pas de valeur immédiate, on ne pouvait l’échanger au voisin contre un cochon ou un sac de blé, non, il fallait d’abord le déposer à la banque : on devenait dépendant d’une entreprise tierce.

Soixante-dix ans plus tard, notre dépendance aux banques commerciales est quasi-totale. Pour un loyer ou un salaire, une banque s’interpose toujours. Et nous renforçons cette dépendance, préférant des transactions payantes (typiquement par carte bancaire) aux transaction gratuites (pièces et billets). Car nos cotisations de cartes ou nos frais en tant que commerçants enrichissent les banques commerciales, alors que les euros physiques sont émis par la Banque de France et ses homologues européennes, toutes publiques.

Par ailleurs, une multitude d’autres acteurs s’interposent entre nous et notre argent. Quand je « fais un Lydia » pour rembourser une amie qui vient de m’avancer un verre, j’ai besoin :
1) d’un smartphone,
2) d’un réseau de transport d’électricité pour charger ce smartphone,
3) d’un abonnement à Internet,
4) d’infrastructures type antennes et câbles de fibres optiques pour véhiculer l’information,
5) d’un compte chez Lydia,
6) d’un compte bancaire associé,
7) et le tout idem pour mon amie.
Ainsi, pour remplacer un échange fiduciaire de main à main (pièces et billets) par un échange scriptural (paiement Lydia), je deviens dépendant de toutes ces strates dont chacune prend une commission. Alors que mon amie est assise face à moi, chaque maillon de cette chaîne peut empêcher mon paiement. Ma souveraineté de paiement est bien maigre.

La facilité à payer en un clic ou un revers de carte, que beaucoup ressentent comme acte de puissance ou de liberté, peut être vue comme un asservissement capable de se retourner contre nous demain, d’une simple mise à jour de fichier informatique.

Or, revenons aux banques qui sont au cœur de la chaîne de paiement. Sont-elles fiables et solides ?

Je parlais d’argent confisqué par l’État. Oui : c’est arrivé près de chez vous. Par exemple à Chypre en 2013, précédent inquiétant au sein de la zone euro : après avoir envisagé de prélever tous les comptes bancaires de 7 à 10% environ y compris les plus pauvres, l’État chypriote a finalement prélevé uniquement ceux garnis à plus de 100 000€, ramassant ainsi 13 milliards d’euros, confisqués aux particuliers et entreprises aisés. C’est aussi arrivé en Ukraine entre 2014 et 2017, avant la guerre actuelle, lors d’une épuration musclée de son système bancaire réputé comme sclérosé. Des particuliers y ont perdu toutes leurs économies. En France, nos dépôts sont-ils vraiment garantis jusqu’aux fameux 100 000€, seuil qui a vacillé à Chypre ? La prochaine crise nous l’apprendra.

Il flotte justement depuis ce mois de mars 2023 un doux parfum de crise bancaire. C’est d’abord Silicon Valley Bank qui faisait faillite, puis deux autres banques régionales américaines. En Europe le géant Crédit Suisse en chute libre depuis deux ans se faisait racheter par l’autre géant bancaire helvète UBS, une « petite » opération de sauvetage pour rassurer les marchés. Les experts, en avril, démentaient le risque d’une contamination mondiale et considéraient qu’il était « trop tôt pour anticiper une crise bancaire majeure », voire que « il n’y [avait] pas de contagion possible » (à 2’33 de cette vidéo). Cela m’évoque ce brillant analyste, interrogé par le site Le Revenu début janvier 2020, qui estimait « peu probable que l’épidémie de coronavirus en Chine devienne une pandémie mondiale ».

Or, la First Republic Bank, sauvée momentanément le 17 mars par une injection expresse de 30 milliards de dollars par onze autres banques américaines, semblait à nouveau sur la sellette en avril, elle vient de craquer au 1er mai. À ce jour c’est Pacific Western qui flanche, elle pourrait faire faillite d’ici fin mai. Alors, domino ou pas domino ?

Imaginons qu’une crise bancaire majeure survienne demain. Guichets fermés. Applis de banque indisponibles. Il nous apparaîtra que nous sommes presque incapables d’acheter notre nourriture ou faire notre plein d’essence sans notre banque, nous qui sommes de moins en moins nombreux à utiliser vraiment les espèces ou en stocker chez nous. Mais trêve de prophéties hâtives. Je constate en tout cas que gouvernement et médias français nous gardent le nez collé sur la réforme des retraites, ou la guerre en Ukraine. Pas grand monde pour nous conseiller de veiller sur nos économies.

Alors bien sûr, il y a de bonnes raisons d’utiliser une banque. On ne veut pas trimbaler une mallette de billets pour acheter un appartement, ou aller aux locaux de la Sécu pour chaque remboursement de consultation. Mais de leur côté, les banques ou l’État font tout pour renforcer cette dépendance.

Leur argumentation est immuable : facilité et sécurité.

La facilité, c’est par exemple accorder à SFR le droit de se servir sur notre compte (mandat de prélèvement) selon des contrats en petits caractères, qui nous font perdre des 29,90€ par ci, des 49€ par là. Quand cela arrive, on peste mais on laisse faire […sans mauvais jeu de mots]. Si nous rédigions à la main « Je soussigné(e) XX autorise SFR à prélever sur mon RIB n° XX, à durée indéterminée et selon son bon vouloir, toutes les sommes qu’elle jugera justifiées à propos de mon abonnement téléphone et Internet », enverrions-nous ce courrier signé sans hésiter ? Pourtant, c’est ce que nous approuvons un clic, voire en une parole par téléphone.

J’expliquais dans mon article de 2020 sur le livre Le Bug humain comment notre cerveau s’engouffre dans la facilité, quand nous n’y prenons pas garde. Les neuroscientifiques ont montré qu’un paiement implique dans notre cerveau les circuits de la douleur, notamment le cortex insulaire. Ainsi, une dépense d’argent est quasiment ressentie comme une douleur physique. C’est la notion de douleur du paiement, largement reprise depuis la thèse de doctorat d’Ofer Zellermayer en 1996.

Or, ces études attestent que les paiements les moins douloureux pour notre cerveau, donc les plus faciles, sont ceux par mobile ou par montre connectée. Pourquoi ? Parce que le caractère multifonctionnel de l’objet dilue la sensation de perte d’argent, sans compter l’aspect ludique du geste. Un peu plus douloureux, le paiement par carte, où l’objet reste dédié au paiement mais la perte n’est visible qu’à distance. Enfin, le plus douloureux, donc le moins facile, le paiement en espèces, où la perte se constate immédiatement.

Pour notre cerveau, le paiement le moins douloureux est celui par mobile ou par montre connectée

En clair : moins l’argent est palpable, plus il est facile à claquer.

Ajoutez à cela la facilité de ne plus avoir pièces ni billets en poche, vous comprenez que les entreprises de commerce, tout comme les banques, nous fassent la publicité de ces moyens de paiement « fun », « modernes » et « pratiques », qui torpilleront toujours mieux notre porte-monnaie. D’ailleurs, qui collabore avec des entreprises de conseil comme ce Decision Lab américain, qui a assimilé ces savoirs scientifiques ? Entre autres Mastercard, Google (Google Pay), Facebook (Facebook Pay) ou la fondation Bill et Melinda Gates. Et l’UE pousse pour avoir dès 2024 son concurrent (EPI) à Visa et Mastercard.

Deuxième pilier de l’argumentation, la sécurité, qui est depuis toujours la justification récurrente des chefs d’un peuple. En 2013, Jean Marc-Ayrault n’était pas parvenu à imposer ses mesures de restriction des paiements en espèces ? Les attentats terroristes de Charlie Hebdo début 2015 ont fourni le bon prétexte pour que Michel Sapin, alors ministre des Finances, ramène le plafond à 1 000 euros.

Incitation à éviter les paiements en espèces dans un parking à Marseille, pour de (fausses) raisons sanitaires

Les pièces et billets risquent de véhiculer la Covid-19 ? L’aubaine… Privilégiez le paiement sans contact ! Au magasin, au péage ou au parking, le relèvement du plafond de 30 à 50 euros le 11 mai 2020 a lâché la bride à ce miraculeux « geste barrière ». Et le président d’alors de la Fédération bancaire française, Frédéric Oudéa, se félicitait que les banques soient « mobilisées de façon continue dans cette crise pour répondre aux besoins de leurs clients » : on les remercie de leur bienveillance. L’épidémie est retombée, pas le plafond de paiement. Et sans surprise, on nous parle aujourd’hui des 80 euros. 

Les piratages sont plus fréquents sur Internet que via les terminaux physiques ? On introduit l’authentification forte de la DSP2, directive européenne imposant la confirmation du paiement via une appli mobile. Pas encore totalement appliquée, cette mesure resserre nos liens aux banques mais aussi au smartphone, ce merveilleux tremplin de liberté.

Vous voyez bien la constante dans toutes ces évolutions : toujours plus de dépendance au numérique et aux banques commerciales. Il est loin le temps où la laiterie vous payait en billets, sans recourir à la banque ni l’enrichir.

Le jour où les espèces disparaîtront, l’acte de payer fusionnera irrémédiablement avec celui de taxer

Au fond, le rêve des banques commerciales est peut-être celui-ci : réduire l’argent à des écritures de comptes, en éliminant toute alternative et en première lieu l’argent matériel. Ce jour-là, qui pourra s’opposer à une augmentation des frais bancaires, ou toute autre forme de taxe convenue ou non avec l’État ? Puisque l’acte de payer aura fusionné irrémédiablement avec celui de taxer, ce sera devenu impossible. Et les collecteurs s’en frotteront les mains.

C’est d’ailleurs l’idée qui a excité, cette dernière décennie, les partisans de l’utilisation des taux négatifs pour relancer la croissance : vos 10 000€ placés sur un livret A à -1% étant réduits à 9 900€ au bout d’un an, et le retrait en espèces n’existant plus pour éviter cette perte, vous seriez incité(e) à les dépenser. Taux négatifs et fin des espèces permettent une taxe systémique sur le capital.

L’enthousiasme dégonfle peut-être avec la récente et brutale remontée des taux de la BCE et la Fed, mais les plans sont prêts : voyez par exemple ce cadre de travail élaboré par le FMI en 2017 pour faire disparaître l’argent matériel, ou ce rapport de 2018 du Comité d’Action Publique commandé par Edouard Philippe et qui prône page 87 une société « zéro cash » pour « simplifier les paiements ». Le billet de 500€ est déjà progressivement retiré de la circulation depuis début 2019 pour de prétendues raisons de sécurité : la lutte contre les activités illégales. Serait-ce plutôt un prélude à la disparition du 200, du 100… ?

En soi, taxer toutes les transactions bancaires n’est pas forcément nocif, notamment si l’on réalise que les particuliers ne sont qu’une goutte d’eau dans le total – et personnellement taxer le trading haute-fréquence ne me choquerait pas ! Il existe des propositions intéressantes en ce sens : le chercheur Simon Thorpe du CNRS à Toulouse, a calculé qu’au Royaume-Uni en 2011, une taxe fixe de 0,03% sur l’ensemble des transactions des particuliers et entreprises aurait suffi à remplacer l’intégralité des impôts du pays. Finis la TVA, les déclarations d’impôts, les taxes foncières, les charges sociales… tout intégré dans le gigantesque ballet bancaire. Mais je doute que les banques commerciales fassent ce choix, le jour où notre argent aura cessé d’exister hors de chez eux.

Alors, les bons vieux billets et pièces vont-ils disparaître ? Je ne sais pas. Je ne le souhaite pas, pour leurs deux avantages irremplaçables : souveraineté de paiement et anonymat des transactions.

Nos comptes bancaires trahissent notre vie privée

J’affirmais qu’on lit notre vie privée dans nos dépenses. Mais me croyez-vous ?

Je me suis livré à l’exercice suivant : analyser 3 mois de comptes courants d’un cobaye consentant, pour essayer de reconstituer au mieux sa vie et sa personnalité.

Bizarre… personne n’a rien à cacher, pourtant j’ai essuyé environ 25 refus avant que quelqu’un me partage ses relevés bancaires ! C’étaient des personnes que je connaissais le moins possible, mais assez pour qu’elles aient confiance. De là cette remarque immédiate : pourquoi laissons-nous notre banque accéder à ces informations, si nous les cachons à quelqu’un de confiance ?

De cette seule personne consentante – appelons-là Mélanie – je savais sexe, âge approximatif, statut marital, qualifications pro, mais pas sa source de revenus, ni son lieu de résidence.

J’avais donc à ma disposition :

  • 3 relevés de compte courant sur février-mars-avril,
  • un moteur de recherche,
  • ma sagacité,

autant dire, des outils et des données absolument RI-DI-CU-LES, par rapport à une entreprise qui emploierait à plein temps de nombreux spécialistes, des algorithmes dernier cri, et des calculateurs informatiques surpuissants, le tout appliqué à des millions de client. Ces entreprises existent, elles s’appellent LiveRamp (ex-Acxiom, 3 400 employés), Experian (17 000 employés), Oracle (143 000 employés), leurs activités de courtiers de données leur permettent de monnayer les dossiers qu’elles détiennent sur des centaines de millions de personnes dans le monde, sous l’appellation marketing interactif et gestion de relation client.

Or, voyez jusqu’où mène déjà mon espionnage amateur et consenti.

Commençons par les prélèvements récurrents. Mélanie est assurée à la MACIF, à qui elle verse 41€/mois de complémentaire santé (donc moyen voire haut de gamme) et 17€/mois d’une autre assurance non identifiée, qui pourrait être pour l’habitation et/ou d’autres protections personnelles. 50€/mois alimentent un contrat d’assurance-vie « Vivaccio » commercialisé par CNP Assurances, sans doute souscrit à la Banque Postale et peut-être lors de l’ouverture initiale des comptes, puisque d’après Internet, CNP est partenaire de la Banque Postale chez qui Mélanie a ce compte courant. Un virement de 250€ le 23 mars vers son CEL détenu dans la même banque confirme l’image d’une personne prévoyante, constituant épargne et protection financière.

Dans les abonnements on trouve 35€/mois chez Free Telecom (une box Internet, étiquetée « haut débit » sur le relevé), 2€/mois chez Free Mobile qui est probablement le forfait 2h d’appels et 50Mo d’Internet. Dans les comptes, aucune trace de paiement dématérialisé de type Lydia, ni autre information trahissant la présence d’un smartphone. Il se pourrait que Mélanie ait un téléphone basique, ou alors un smartphone avec peu d’usage d’Internet sinon en Wi-Fi. Autre abonnement : 8€/mois chez Alpes-Autopartage, une société coopérative fondée à Grenoble, proposant 250 voitures partagées sur Grenoble, Annecy, Chambéry, Annemasse, Saint-Etienne et Valence. Ces paiements sont difficiles à relier au reste, mais peuvent trahir une attache familiale ou un ancien lieu de résidence situé vers Grenoble.

Dans les dépenses ponctuelles, on ne trouve d’ailleurs aucune trace de voiture ou de moto (carburant, péage, parking, garagiste, location, amende). En revanche, on voit trois paiements ponctuels au réseau de transports publics parisien (RATP pour environ 2, 5 et 40€) ainsi que deux paiements de 8 et 62€ à la SNCF dont un en ligne. Cela suggère que Mélanie se déplace en train, transports publics, vélo, trottinette et/ou à pied, hypothèse renforcée par la nature et l’emplacement des achats, qui ont presque tous lieu dans un périmètre de 2km, dans la petite ville facilement identifiable de G. en région parisienne. Mélanie vit et consomme dans un périmètre restreint.

Dans le centre-ville de G. se font les achats du quotidien, dans des magasins dont je tais l’enseigne et l’adresse mais qu’on peut identifier avec certitude : une épicerie vrac/local/bio (7 fois, avec un panier moyen à 35€), une épicerie circuit court (2 fois dont 1 panier familial de légumes bio avec le nom de la maraîchère dont on trouve l’adresse), une coopérative bio, une fromagerie (2 fois), une boucherie, un opticien, un magasin de décoration d’intérieur, une librairie indépendante invitant des auteurs engagés, et une supérette Intermarché (1 fois). Dans un rayon de 5 km autour de G., on trouve aussi des achats dans une pharmacie, une boutique de couture, un supermarché Auchan, un Decathlon (tous 1 fois).

Quelques achats en ligne suggèrent qu’un nouveau-né vit à la maison : des couches lavables (Hamac), des étiquettes pour enfants (C-MonEtiquette + un autre site). Deux consultations médicales à 30€ convergent en ce sens, puisqu’elles ont lieu chez le Dr S. (exerçant à 3km du centre de G.) dont Doctolib nous apprend que c’est le tarif d’une consultation de pédiatrie. Et un chèque de 30€ (paiement accepté chez ce médecin) pourrait correspondre à une 3ème consultation sur le même mois. Enfin, on trouve fin avril un virement de 657,30€ adressé à une certaine Mme E. et intitulé « avril – [prénom de fille] », qui pourrait être un paiement à une nourrice, ce prénom de fille étant alors celui de la nouvelle-née (et la nourrice étant récemment embauchée, puisqu’on ne trouve pas de tel virement sur mars ni février).

Le seul paiement non identifié est une dépense quasi hebdomadaire de 9€ intitulée « SumUp », qui est une entreprise fournissant des terminaux de paiement aux petits commerçants. Cela peut être un achat récurrent ou une prestation de service.

Placer l’ensemble des dates sur ces trois mois de calendrier révèle que presque aucun achat n’a lieu le week-end (exceptions : un samedi et un dimanche). Les courses se font du lundi au vendredi, dans des commerces dont beaucoup ferment le midi, et à des horaires variables comme le suggère un retrait de billets un jeudi à 11h14. Ceci indique deux choses : 1) soit Mélanie a un travail flexible ou à temps partiel, soit elle est sans emploi (congé maternité probable), 2) on peut imaginer des week-ends passés hors de la ville de G. avec déplacements en train ; l’absence de traces numériques de paiement les week-ends pourrait venir de visites à la famille de Mélanie, ou simplement d’une absence d’achats.

Sur ce compte ne figurent aucune trace des éléments suivants : sorties (bar, ciné, spectacle, match… et notamment aucun resto), emprunt (immobilier, conso, voiture…), vie associative. Autant un crédit se verrait, autant des sorties peuvent être invisibles car payées en espèces ou ayant lieu chez des amis : là on ne peut conclure. Il y a probablement des paiements en espèces, puisque 550€ sont retirés en 3 fois chez LCL et Banque Postale : là encore cela échappe à l’espionnage.

Enfin, c’est important, nulle trace d’organismes publics ou institutions (employeur, caisse d’allocation, école…) et nulle trace de logement (crédit ou loyer). On suspecte que Mélanie possède un autre compte bancaire, peut-être un compte joint avec son compagnon/sa compagne si elle a effectivement un enfant en bas âge.

Le profil obtenu. De ces trois mois de dépenses émerge l’image d’une jeune femme raisonnable, mère d’une petite fille, animée de valeurs sociales et écologiques, peu utilisatrice de services et commerces d’Internet, menant une vie locale et tranquille dans la petite ville de G. en région parisienne, et se déplaçant les week-ends. Rien n’indique qu’un grand projet soit en cours, de type emménagement, travaux domestiques, ou création d’entreprise.

Le verdict. Après vérification auprès de « Mélanie », la grande majorité des infos reconstituées sont correctes et notamment lieu de vie, habitudes d’achats, congé maternité, valeurs sociales et écologiques. Sa fille porte bien le prénom associé au paiement de Mme E., qui est en effet sa nourrice. Mélanie détient effectivement un smartphone utilisé surtout en Wi-Fi. Il y a bien des déplacements les week-ends, qui se font en train mais aussi en vélo, en revanche pas spécialement de visites à la famille. Habitude est prise de payer en espèces les dépenses du week-end, mais aussi le marché, et quelques sorties en semaine type resto, d’où l’absence de traces numériques. Le paiement récurrent de 9€ était une prestation de soins d’une professionnelle libérale. À part cela, peu de choses ont échappé à l’analyse du compte bancaire.

Mes observations. Ce qui me frappe est que de son propre aveu, Mélanie considère ne « pas souvent payer par carte ». Pourtant, voyez tout ce que j’ai pu deviner ! Ainsi, retenez que dans la vie courante seul l’argent liquide (ou le troc) vous protège efficacement d’un espionnage.

J’ai de plus compris, en me livrant à cet exercice, la chose suivante : plus on détient de données, plus une même donnée individuelle est parlante. Par exemple, d’un paiement vague comme « Achat CB Decathlon » effectué potentiellement au Kenya, en Malaisie ou en Belgique où l’enseigne est présente, on déduit qu’il a eu lieu dans le Decathlon situé à 5km de G. si on trouve le même jour trois achats dans des petits commerces du centre-ville de G., facilement identifiables car portant un nom unique sur Internet. Voyez aussi comme les infos se sont recoupées concernant l’existence du nouveau-né.

Plus on détient de données, plus une même donnée individuelle est parlante

Pensez que les grands nombres font la puissance des statistiques. Dès 1942, les services des Alliés étaient capables d’estimer à 5% près le nombre de chars dont disposaient les Allemands, en se basant uniquement sur l’analyse de numéros de série retrouvés sur les chars détruits au combat. Et cette estimation était incomparablement meilleure que celle faite par les agents sur le terrain. Autrement dit : les données voyaient déjà mieux que l’œil humain.

Pensez aussi que nos données privées, même bancaires voire administratives, se captent et se revendent pour s’agréger en « profils » très précis, issus de nos achats en ligne, nos pages de réseaux sociaux, nos historiques de navigation sur Internet, nos comptes clients créés à tour de bras, mais aussi nos géolocalisations, nos messages.

Imaginez alors ce dont sont capables ces courtiers en données comme Experian, dont les moyens et méthodes sont infiniment plus avancés que les miens. Tôt ou tard, votre « profil » risque d’être utilisé via des algorithmes, pour décider de vous accorder ou non un crédit, voire un droit social, pour fixer le montant de votre assurance, de votre mutuelle. Et qui sait si vos préférences politiques ne vous empêcheront pas d’avoir un emploi… le délit de faciès étendu à toute notre vie privée !

Donc, en enrichissant ainsi collectivement ces immenses bases de données de nos transactions bancaires, nous votons pour que la vie privée de l’ensemble de la population soit accessible à quelques grandes entreprises, qui en font ce qu’elles veulent. Comme si cet ami Axel gérait les dépenses de tous les particuliers et entreprises du pays.

Et si l’État posait un jour des questions à Axel… ? Il saurait tout.

Voilà pourquoi, dans mon article de 2021, je vous encourageais à protéger votre vie privée numérique en général, et je vous expliquais comment faire, en commençant par des changements faciles. Puisque tout paiement numérique laisse des traces, je retiens de cet exercice une solution simple : l’argent physique !

Quel rapport à l’argent adopter alors ?

Puisque notre argent en banque peut dégrader le climat, saper notre souveraineté de paiement et trahir notre vie privée, il est bon de s’interroger sur ce que nous voulons en faire : une fois de plus, de que volem?

Choisir sa banque et ses types de placements détermine fortement l’impact sociétal et environnemental de notre épargne, je l’ai expliqué. Si cela vous importe, vous dormirez mieux en sachant que vous soutenez des associations culturelles françaises (Crédit Coopératif), plutôt que des fusions-acquisitions mondiales (Société Générale).

Ceci étant choisi, comment conserver, ou récupérer, votre souveraineté de paiement ?

Soutenez tout d’abord l’existence de l’argent physique, simplement en l’utilisant ! Avec un peu d’organisation et quelques réserves, on parvient à régler la plupart de ses achats en espèces. Si tout le monde paie par carte chez le boulanger, tôt ou tard il n’accepte plus d’espèces. Et pensez que la fraude à la carte bancaire a remplacé le vol à l’arrachée, donc la sécurité n’y a pas gagné. En favorisant le sans contact, les Lydia, les paiements mobile, vous votez au quotidien pour ces moyens de paiement, et enrichissez les banques et entreprises qui les fournissent. Faites vos choix.

Je ne défends pas une société du « tout espèces » – car bien sûr si vous êtes graphiste avec des clients à Bordeaux, Lille et Dijon vous n’avez pas envie de courir la France pour collecter des billets – mais je défends l’existence des espèces.

Un mendiant chinois présentant son QR code pour qu’on lui transfère de l’argent

Je l’ai dit, si un jour cette monnaie fiduciaire n’existe plus, toute transaction passera nécessairement par une banque commerciale, qui la taxera comme bon lui semble. Vous vous exposerez aussi au bon vouloir de votre banque, ainsi qu’aux défaillances de l’électronique ou d’Internet, pour le moindre paiement : café, bus, sandwich… Un monde sans espèces, c’est une société où un mendiant déploie un QR code pour son aumône, ainsi que le serveur pour son pourboire, comme déjà en Chine ; où un SDF n’a pas accès à des toilettes payantes en carte bancaire ; où une association est forcément dépendante d’une banque ; où les dépenses informelles entre amis n’existent plus. Vous voulez de ce monde ? Pas moi.

Ensuite, ayant ainsi raisonné vos modes de paiement, rappelez-vous cette chose fondamentale : l’argent n’existe vraiment qu’une fois dépensé. La somme que j’épargne pour ce vélo ne devient réelle qu’une fois que j’ai le guidon dans mes mains ! Avant cela, elle n’est qu’un enregistrement temporaire de valeur, qui peut être perdu, volé, confisqué, déprécié. Comme le morceau de confiance qu’il est, l’argent peut s’évanouir. Déposé en banque, il nous est comme enlevé, du moins éloigné de notre emprise ; en le dépensant, nous nous le réapproprions. Être souverain dans ses paiements, c’est donc aussi les réaliser sans trop tarder.

Je vous ai montré qu’un compte bancaire raconte votre vie privée, qui peut atterrir chez les courtiers en données et se retourner contre vous un jour. Pour réduire ce risque, le paiement en espèces est la solution la plus évidente. En Allemagne où j’ai vécu, on a connu avec la Stasi l’espionnage de la vie privée et on s’en rappelle, ainsi on achète facilement son électroménager ou sa voiture en espèces. « Nur Bares ist Wahres! » disent-ils : les espèces, il n’y a que ça de vrai.

Or, que faisons-nous actuellement ? Nous enrichissons ces bases de données avec toujours plus de transactions, d’informations, avec nos sans contact, nos Lydia ou nos Paylib à tout-va. Certains adoptent même le selfie pay, paiement validé en envoyant à une entreprise une photo de soi, qui révèle donc notre humeur, notre santé, notre emplacement, notre habillement…

Sécurité, facilité, vous nous faites faire n’importe quoi !

Dans ce monde qui se dématérialise, repensons donc notre relation à l’argent. Je n’appelle pas à fuir les banques ou les moyens de paiement numériques, mais à les utiliser en toute conscience.

Et les cryptomonnaies ?

Ne sont-elles pas un nouveau moyen de maîtriser et anonymiser nos paiements ? Elles ont été pensées, il est vrai, pour échanger de l’argent de manière décentralisée, sans dépendre des États ni des banques. Certains auteurs parlent comme moi de souveraineté de paiement, défendant l’idée qu’une cryptomonnaie comme le Bitcoin est un moyen privilégié de la garantir, n’étant pas adossée au système financier mondial. Or, plusieurs raisons rendent les cryptomonnaies inopérantes, du moins selon moi et actuellement, pour remplacer nos monnaies conventionnelles. Sans parler de l’exposition aux défaillances techniques.

Déjà, les solutions pour la vie courante restent très limitées. Initiative intéressante, BitPay est conçue pour que commerçants et particuliers payent avec une quarantaine de cryptomonnaies dont Bitcoin et Ethereum. Ce service propose même une carte pré-payée Mastercard et est compatible depuis mai 2023 avec le portefeuille de cryptomonnaies Brave Wallet lié au navigateur Brave. Mais à part des achats en ligne le service Bitpay n’a pas réellement pénétré le marché. En 2017, la plateforme de jeux en ligne Steam a même mis fin à l’utilisation de BitPay après un an, à cause de la volatilité des prix et des frais inhérents. Il est clair qu’une monnaie fluctuant à l’échelle de l’heure voire de la minute peut inquiéter des utilisateurs quotidiens.

Ensuite, contrairement à une idée répandue, les transactions en cryptomonnaies ne sont pas anonymes, car le grand registre des transactions est public et diverses méthodes permettent de remonter à votre identité, notamment via vos achats en ligne. À moins d’avoir seulement reçu mais jamais acheté cette monnaie, ou de la miner vous-même, votre anonymat est perdu. Or, l’utilisateur lambda passe par une plateforme d’échange, qui requiert son identité – au passage on voit qu’en voulant éviter une banque on traite encore avec une entreprise tierce ! Pour rester anonyme, il faudra recourir à une cryptomonnaie comme Monero, Zcash ou Zcoin… spécialisée donc moins répandue.

De plus, il restera toujours un obstacle majeur aux cryptomonnaies, même si ces questions techniques d’anonymat et de paiements quotidiens étaient résolues : ces monnaies sont un gouffre énergétique, donc écologique. Pensez qu’au Kazakhstan, les mineurs de cryptomonnaies consomment tant d’électricité qu’ils saturent le réseau national et provoquent des pannes de courant. Pensez que le Bitcoin à lui seul consommait en 2020 plus d’énergie que l’Argentine entière ! Pourquoi ? Parce que les cryptomonnaies sont des objets mathématiques, et que par construction, la création (= minage) de nouvelles unités (= blocs) requiert toujours plus de calculs informatique, donc d’électricité consommée. Les freins à l’utilisation vont donc augmenter. Or, il ne me semble pas qu’une cryptomonnaie puisse exister sans se fonder sur un tel principe.

En résumé, même si j’aime l’idée d’une monnaie décentralisée pour reprendre le pouvoir sur notre argent, je ne suis pas encore convaincu par les cryptomonnaies. Pour l’heure, nous avons encore les espèces.


La lecture vous a plu ? Recevez les nouveaux articles par courriel :

3 réflexions sur « Les 3 dangers de nos comptes bancaires »

  1. Bonjour Thomas,

    Toujours un plaisir de te lire qui plus est quand c’est pour retourner nos cerveaux techno-cocoonés comme dirait A. Damasio.

    Je te transmet une récente offre marketing de ma banque : le « cashback », qu’il me semble avoir vu apparaitre il y a déjà un moment sur le site de paiement de la SNCF pour se faire rembourser 16.xx euros après la transaction.

    Cette offre de cashback est simple, c’est comme une carte de fidélité à tampon où au bout de 10 passages tu gagnes un bonbon au chocolat, sauf qu’ici, ça ne te rapporte que quand tu payes par … carte bancaire (voir annonce ci-dessous).

    Autant dire que ça « coute moins cher de payer » par carte bancaire par rapport aux espèces, une sacré concurrence déloyale pour la monnaie (si on oublie les frais bancaires induits par la possession d’une carte bancaire). La société « zéro cash » pour « simplifier les paiements » est bien en marche ;-).

    Sur ce, bon dimanche!
    Yoann

    Le texte de l’offre :

    Le Cashback*, qu’est-ce que c’est ?
    Le principe est simple !

    Vous activez le service Cashback* dans votre espace client sur cmb.fr ou dans votre appli CMB. Vous réglez vos achats dans les boutiques et grandes enseignes près de chez vous ou en ligne avec votre carte bancaire du Crédit Mutuel de Bretagne.

    Si ces enseignes sont partenaires de notre service et ont une offre de cashback* en cours, c’est automatique, vous recevez le remboursement d’un pourcentage du montant de vos achats dans votre cagnotte !

    Et dès 10 € cumulés dans votre cagnotte, vous pouvez demander le versement sur votre compte bancaire.

    J’aime

    1. Salut Yoann, merci cette info, décidément on nous donne même de l’argent pour que nous acceptions de devenir plus dépendants ! Oui les incitations/obligations sont omniprésentes.

      Cette offre de ta banque me fait penser à Blablacar qui me harcèle (>10 messages déjà) pour m’envoyer un bonus de 75€… qui nécessite mon adresse postale ! Donnée que je ne leur vendrai pas, même à ce prix.

      J’avais entendu le nom « Cashback » pour autre chose, c’était en Allemagne : par ex. tes courses te coûtent 43€, tu payes 70€ par CB et le commerçant te donne 27€ en espèces. Une manière de remplacer les distributeurs à billets qui se raréfient. Là ça ne me dérange pas 😉

      J’aime

Laisser un commentaire